La recherche au CHAC
Les axes de recherche
- LâAsie dans les relations internationales et les relations internationales en Asie
- Histoire comparée des Empires coloniaux en Asie
- Les relations contemporaines entre lâEurope et lâAsie
- Conflits, croissance et intégration régionale
- Identités et patrimoines asiatiques
- Identités et patrimoines urbains
- Identités nationales, identité régionale
- Les identités politiques en Asie du Sud-Est
- La PremiĂšre Guerre mondiale en Asie (Ă lâoccasion du centenaire, 2014-2018)
Les journées des jeunes chercheurs du CHAC
-
2019
Lâinventaire des empires :
Les usages des catĂ©gories dans lâhistoire et par les historien-ne-s.
2Ăšme journĂ©e dâĂ©tudes des Jeunes chercheurs du CHAC
UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on â Sorbonne, Centre Sorbonne,
17, rue de la Sorbonne 75005 Paris, escalier C, 2Úme étage,
Samedi 30 mars 2019
en salle Marc Bloch (Centre Sorbonne) 8h30 â 16h30.
Quâil sâagisse de caste, de race ou dâethnie, les empires en gĂ©nĂ©ral (et dans lâAsie-Pacifique en particulier) ont mobilisĂ© diverses formes de classification des hommes, des lieux, des pratiques et des choses. Cette catĂ©gorisation a une fonction centrale dans la construction des rapports de domination propres aux sociĂ©tĂ©s coloniales. Lâhistoriographie a montrĂ© que si les catĂ©gories de race, de classe et de genre sont essentielles dans les constructions impĂ©riales, elles sont traversĂ©es de distinctions intra-coloniales (« tribus », « castes », etc.) maintenant les empires en divisant les populations colonisĂ©es. Ă la croisĂ©e dâune histoire des savoirs et des sciences coloniales et dâune histoire des reprĂ©sentation cette journĂ©e dâĂ©tudes mobilisera les jeunes chercheurs et chercheuses du CHAC, Ă©tudiant-e-s de master, doctorant-e-s ou jeunes docteurs. Deux questionnements transversaux jalonneront cette journĂ©e.
Dâune part, la construction de catĂ©gories spĂ©cifiques aux sociĂ©tĂ©s coloniales par divers acteurs (politiques, scientifiques, artistes, etc.). Ces derniers dĂ©nombrent, nomment, inventorient mais aussi esthĂ©tisent les populations. Les fonctions de ces constructions intellectuelles sont diverses. Elles offrent des justifications idĂ©ologiques et culturelles Ă lâaction des puissances coloniales outre-mer, constituant un cadre dâanalyse et dâaction sur les sociĂ©tĂ©s indigĂšnes. Il conviendra donc dâallier une analyse des conditions de production de ces discours Ă une histoire sociale et culturelle qui cherche Ă apprĂ©hender la circulation de ces catĂ©gories, leurs usages et leur impact sur les sociĂ©tĂ©s. ConformĂ©ment aux apports de lâhistoriographie des derniĂšres dĂ©cennies, il sera nĂ©cessaire Ă©galement dâapprĂ©hender la permĂ©abilitĂ© des catĂ©gories coloniales et de sâintĂ©resser aux marges, aux transfuges, aux frontiĂšres, tant leur observation permet dâanalyser le rĂŽle des catĂ©gories dans les politiques et les pratiques coloniales.
Cette journĂ©e dâĂ©tude sera Ă©galement lâoccasion dâune rĂ©flexion sur les pratiques des historien-ne-s face Ă ces catĂ©gories. Ăcrire lâhistoire des sociĂ©tĂ©s coloniales mĂšne Ă mobiliser des catĂ©gories dont le contenu historique est Ă manier avec prĂ©caution. Les dĂ©bats les plus rĂ©cents sur lâusage analytique de catĂ©gories dâusage (« colonial », « post-colonial », « indigĂšne », « race ») mĂšnent nĂ©cessairement celles et ceux qui Ă©crivent lâhistoire Ă sâinterroger sur leurs propres pratiques. De mĂȘme, Ă lâheure dâune histoire transnationale, les catĂ©gories instinctivement mobilisĂ©es par les historiens peuvent se montrer peu adaptĂ©es aux spĂ©cificitĂ©s des divers contextes historiques et gĂ©ographiques Ă©tudiĂ©s
Les étudiant-e-s de master du CHAC participeront par ailleurs à cette journée d'étude en présentant au public des affiches issues de leurs recherches et posant la question des catégories.
Programme de la journée.
8h30 : Accueil des participant-e-s.
9h : Introduction.
Axe 1 : Catégorisation et déformation. Les sociétés « précoloniales » mises en catégories.
9h20 : Marie Aberdam â Ă propos de quelques listes issues du bureau des rĂŽles du Palais royal du Cambodge (c.1880-1914).
9h40 : Gabrielle Abbe â La catĂ©gorisation des arts indigĂšnes Ă lâĂ©poque coloniale.
10h00 : ClĂ©ment Fabre â Quâest-ce quâun corps chinois au XIXĂšme siĂšcle ?
10h20 : Questions.
10h45 : Pause-cafĂ© et prĂ©sentation de lâexposition par les Ă©tudiants de Master du CHAC.
Axe 2 : Aux marges des catégories. Malléabilité, indéfinition, jeux et résistances.
11h15 : Gwendal Rannou â La catĂ©gorie dâEuropĂ©en dans les colonies australasiennes.
11h35 : Pascal Bonacorsi â Corses des colonies : naissances et renaissances dâune catĂ©gorie (XIXĂšme-XXĂšme siĂšcle).
11h55 : Romain Lebailly â Jouer Ă dominer : la ludification des catĂ©gories coloniales dans les jeux vidĂ©o de stratĂ©gie.
12h15 : Questions.
12h40 : Buffet.
Axe 3 : Des catégories pour mieux contrÎler.
14h : Julie Marquet â Appartenances de caste et assignations coloniales : le cas des Parias Ă PondichĂ©ry au milieu du XIXĂšme siĂšcle.
14h20 : Sara Legrandjacques â La catĂ©gorie « Ă©tudiant » en situation coloniale.
14h40 : Vincent Bollenot â « En raison des sentiments de haine Ă lâĂ©gard de la France » : surveillance coloniale et usage politique des catĂ©gories nationales.
15h : Questions.
15h20 : Conclusion de la Journée par M. Hugues Tertrais.
ComitĂ© dâorganisation : Pascal Bonacorsi et Vincent Bollenot.
Contacts : Pascal.Bonacorsi@univ-paris1.fr ; Vincent.Bollenot@univ-paris1.fr.
Affiches scientifiques/posters des étudiants en M1 au CHAC (2019)
Louis Lamiot Mathilde Castéran Angelo dal Maso -
2018
« LâEmpire des Langues »
JournĂ©e dâĂ©tudes du Centre dâhistoire de lâAsie contemporaine
proposée par Marie Aberdam & Sara Legrandjacques
Samedi 31 mars 2018
9h-16h
salle 54 (centre Panthéon)
8h30 Accueil des participants
9h Introduction
Axe 1 â La langue comme outil de lâimperialisme
09h15 Clément Fabre, « Le chinois du Quai d'Orsay, xixe siÚcle »
09h35 Vincent Bollenot, « Parler pour contrĂŽler : la gestion politique de lâimmigration coloniale en France mĂ©tropolitaine pendant l'entre-deux-guerres et sa problĂ©matique linguistique »
09h55 Li Yunyi, « La langue de l'anti-impérialisme dans les relations franco-chinoises, 1949-1964 »
10h15 Questions
10h30 Pause-café
PrĂ©sentation de lâexposition rĂ©alisĂ©e par les Ă©tudiants de Master
Axe 2 â Pratiques et usages linguistiques en situation coloniale
11h Gwendal Rannou, « Le Papuan Villager et la politique des langues en Papouasie »
11h20 Sara Legrandjacques, « Lost in translation : enjeux linguistiques des séjours d'étudiants asiatiques à l'étranger, 1re moitié du XXe siÚcle »
11h40 Julie Marquet, « La langue des requĂȘtes. Sâadresser Ă la justice coloniale Ă PondichĂ©ry dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle »
12h00 Questions
12h15-14h : Pause déjeuner
Les intervenants sont conviés à un buffet participatif
Axe 3 â Traduire, transcrire, travestir
14h Marie Aberdam, « Interpréter les interprÚtes, juger des compétences linguistiques en Indochine, fin XIXe-XXe siÚcles »
14h20 Gabrielle Abbe, « Quâest-ce quâun artiste ? Autour dâun questionnaire bilingue dans le Cambodge colonial, 1917 »
14h40 Romain Lebailly, « Traduction et re-sĂ©mantisation du jeu vidĂ©o japonais dans les annĂ©es 1980-1990 : la marque dâun impĂ©rialisme culturel ? »
15h Questions
15h15 Conclusion par Hugues Tertrais, professeur émérite.
ClĂŽture de la journĂ©e dâĂ©tudes autour dâun cafĂ©
Exposition
Posters « Empire des Langues » réalisés par les étudiants de Master du CHAC
COMPTE RENDU
1re journée des jeunes chercheurs du CHAC
« Lâempire des langues »
31 mars 2018
La premiĂšre journĂ©e des jeunes chercheurs du Centre dâhistoire de lâAsie contemporaine (CHAC) de lâuniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne a eu lieu au centre PanthĂ©on le samedi 31 mars 2018. Autour de la thĂ©matique, « lâempire des langues », il sâagissait de rĂ©unir les Ă©tudiants en master et en doctorat du centre autour de communications, regroupĂ©es en trois panels, et de lâexposition de posters rĂ©alisĂ©s par les masterants.
Panel 1 â La langue comme outil de lâimpĂ©rialisme (ClĂ©ment Fabre â Vincent Bollenot â Li Yunyi)
ClĂ©ment Fabre inaugure la journĂ©e avec une communication sur les langues chinoises au sein du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres au XIXe siĂšcle. Il se concentre sur les interprĂštes du Quai dâOrsay au rĂŽle transversal puisque, aux cĂŽtĂ©s de leurs activitĂ©s diplomatiques, leurs compĂ©tences sont mises au service de lâarmĂ©e, de la marine et de lâadministration des concessions. De plus, ces individus jouent Ă©galement un rĂŽle sur la scĂšne savante en mĂ©tropole, en concurrence avec les sinologues parisiens. Il rappelle ainsi le monopole de ces interprĂštes sur la chaire de Chinois moderne aux LanguesâO au cours de la dĂ©cennie 1870. Objectiver la langue chinoise est rendu possible grĂące Ă des archives nombreuses et variĂ©es : le rapport Ă la langue chinoise est particuliĂšrement bien documentĂ© Ă travers des rapports des autoritĂ©s ministĂ©rielles, des tĂ©moignages de mandarins chinois, des correspondances, des registres des actes des tribunaux ou des discours, etc. ClĂ©ment Fabre choisit de dĂ©tailler la trajectoire du premier interprĂšte au service du Quai dâOrsay, Joseph Marie Callery. Son expĂ©rience permet de mettre en avant, dâune part, une carence concernant la maĂźtrise de la langue chinoise lors de la naissance dâun service diplomatique français en Chine et, dâautre part, la crĂ©ation dâun domaine dâexpertise linguistique. Cette compĂ©tence joue un rĂŽle concret dans la coprĂ©sence franco-chinoise au sein de territoires impĂ©riaux.
Vincent Bollenot poursuit cette objectivation de la langue et de ses usages dans une communication sur le service de contrĂŽle et dâassistance des indigĂšnes en France (CAI), créé en dĂ©cembre 1923 mais qui prend ses racines dĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. La langue - et ici, plus particuliĂšrement, le Vietnamien - est perçue comme un levier dâautonomisation dâune organisation coloniale. Elle pose Ă©galement des dĂ©fis Ă lâhistorien dans son apprĂ©hension des sources lorsque celles-ci se composent de documents en langues Ă©trangĂšres dont la place et le rĂŽle doivent ĂȘtre analysĂ©s. Il sâagit de dĂ©caler un peu le regard concernant la relation entre savoir et pouvoir : comment « savoir pour pouvoir » ? « Interroger pour Ă©tudier » ? Alors que la perspective relationnelle concerne Ă©galement les agents coloniaux concurrents, la langue permet de hiĂ©rarchiser les administrateurs coloniaux entre eux. DĂšs lors, la maĂźtrise des langues coloniales joue un rĂŽle en mĂ©tropole et devient un critĂšre de recrutement. Vincent Bollenot utilise en particulier le rĂŽle de cette maĂźtrise linguistique dans les parcours de deux employĂ©es du CAI grĂące Ă leurs dossiers de carriĂšre disponibles aux ANOM, Mme GuĂ©roult et Mme BenoĂźt.
Li Yunyi prend Ă rebours ces deux approches impĂ©riales de la langue en Ă©tudiant le langage anti-impĂ©riale de la Chine Ă travers les archives du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres de la Chine populaire et dâarticles extraits du Quotidien du peuple. La rhĂ©torique utilisĂ©e repose sur lâidĂ©e dâune « rĂ©volution Ă mener jusquâau bout » contre lâimpĂ©rialisme et le colonialisme. Lâenvoi de conseillers militaires en Indochine pour soutenir le Vietminh va dans ce sens. Ainsi, le Quotidien du Peuple mobilise un langage rĂ©volutionnaire contre le gouvernement français, dĂ©nonçant « lâimpĂ©rialisme et les impĂ©rialistes français », un « gouvernement rĂ©actionnaire » ou encore « le fascisme français ». La reconnaissance sino-française change la donne : le langage anti-impĂ©rial est dĂšs lors dirigĂ© contre les Ătats-Unis. En parallĂšle, les discours de Mao soulignent les contradictions au sein du bloc socialiste, liĂ©es aux tensions sino-soviĂ©tiques. Cependant, en mai 1968, la RPC soutient le mouvement Ă©tudiant en France et use de nouveau dâun vocabulaire condamnant le gouvernement fasciste et rĂ©actionnaire français.
Panel 2 â Pratiques et usages linguistiques en situation coloniale (Gwendal Rannou â Sara Legrandjacques â Julie Marquet)
Gwendal Rannou a choisi le cas du Papuan Villager, un journal publiĂ© en Papouasie entre 1929 et 1941 disponible en ligne depuis 2016, pour Ă©tudier le rapport Ă la langue dans le cadre de la colonisation australienne de ce territoire insulaire. Câest la question du « bon dĂ©veloppement » des Papous qui transparaĂźt Ă travers le projet de dĂ©veloppement du lieutenant-gouverneur Hubert Murray, auteur de plusieurs ouvrages sur lâadministration indigĂšne, en collaboration avec lâanthropologue gouvernemental F.E. Williams. Pour ce dernier, lâanglais est la lingua franca Ă enseigner dĂšs le plus jeune Ăąge aux populations locales. Parler Anglais rend accessible la littĂ©rature britannique mais doit Ă©galement faciliter les rapports avec les EuropĂ©ens et rendre plus facile la formation par lâintermĂ©diaire dâinstituteurs blancs. La publication de la revue doit participer Ă cet effort dâanglicisation mais le succĂšs initial est Ă relativiser puisquâil y a plus dâabonnĂ©s europĂ©ens que papous. Cet Ă©chec, tant moral que financier, est rĂ©vĂ©lateur des contradictions du colonialisme australien : la supĂ©rioritĂ© de lâhomme blanc est associĂ©e Ă la valorisation de la langue anglaise. Murray met ainsi lâaccent sur lâapprentissage basique de la langue. Finalement, en 1950, 90% des adultes papous ne savent pas Ă©crire, que cela soit en anglais ou en langue locale, et la scolarisation reste faible.
Les enjeux linguistiques liĂ©s aux sĂ©jours dâĂ©tudiants asiatiques Ă lâĂ©tranger durant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle sont ensuite analysĂ©s par Sara Legrandjacques Ă travers lâexemple des Ă©tudiants venus dâInde britannique et dâIndochine française. Ces enjeux sont dâabord mĂ©thodologiques puisque la langue apparaĂźt en filigrane dans les sources exploitables. En outre, la question de la maĂźtrise de la langue des archives se pose Ă©galement au chercheur en histoire globale et connectĂ©e qui a recours Ă des documents Ă la localisation variĂ©e. Alors quâun grand nombre dâĂ©tudiants dâAsie coloniale privilĂ©gient les sĂ©jours en mĂ©tropole, consacrant la primautĂ© de la langue du colonisateur, des territoires extra-impĂ©riaux se distinguent dĂšs le tournant du siĂšcle, Ă lâinstar des Ătats-Unis, du Japon et, plus tard, de lâURSS. Lâapprentissage linguistique nâest pourtant pas systĂ©matiquement pris en considĂ©ration avant le dĂ©part. Il devient nĂ©cessaire pendant le sĂ©jour et la non-maĂźtrise peut conduire Ă un Ă©chec des Ă©tudes. Enfin, les puissances coloniales se saisissent de ces questions linguistiques afin dâaugmenter leur aire dâinfluence en Asie : le dĂ©veloppement dâuniversitĂ©s aussi bien en Indochine française quâau sein des possessions britanniques va dans ce sens au cours des premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle.
Julie Marquet Ă©tudie quant Ă elle la langue des requĂȘtes Ă PondichĂ©ry au XIXe siĂšcle Ă travers les plaintes dĂ©posĂ©es au tribunal de police. Alors que les conflits coutumiers sont rĂ©glĂ©s selon la coutume, les requĂȘtes doivent ĂȘtre rĂ©digĂ©es en langue française et conduisent Ă une rĂ©flexion sur les usages du français dans les documents administratifs. Cependant, peu de traces des processus de traduction et de mĂ©diation sont disponibles dans les archives. Au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle, la traduction des requĂȘtes est un enjeu qui nĂ©cessite parfois dâavoir recours aux intermĂ©diaires. Ainsi, lorsquâune requĂȘte est signĂ©e par quatre-vingt-douze membres dâune caste Ă Karikal, lâadministrateur de lâĂ©tablissement explique quâils ne peuvent pas savoir ce quâils demandent et quâils ont signĂ© sans comprendre le Français. Des faiseurs de requĂȘtes sont sollicitĂ©s pour la traduction. De plus, lâusage des requĂȘtes permet dâĂ©tudier la mise en place dâun langage juridique alors que les Français essentialisent la culture et les traits de caractĂšre indiens en insistant sur lâattachement aux coutumes et Ă la tradition. Les reprĂ©sentations produites par les Français participent Ă façonner un langage juridique. Il est cependant difficile de dĂ©terminer si un vocabulaire spĂ©cifique est mobilisĂ©. Le champ des Ă©motions est gommĂ©. Or, les effets sur la sociĂ©tĂ© locale sont plus faciles Ă saisir, Ă travers la modification des pratiques administratives et notamment, lâusage de nouvelles pratiques dâĂ©criture.
Panel 3 â Traduire, transcrire, travestir (Marie Aberdam â Gabrielle Abbe â Romain Lebailly)
Pour introduire le troisiĂšme panel, Marie Aberdam dessine les contours dâune prosopographie des interprĂštes en Indochine, quâils soient EuropĂ©ens ou « IndigĂšnes ». Elle mobilise ainsi plusieurs exemples prĂ©cis Ă lâinstar de celui de Ponn, dâAlexis Louis Chhun ou de la famille Cazeau. Les archives et, plus particuliĂšrement, les dossiers de carriĂšre permettent de dĂ©passer les limites des rĂ©cits de voyage et de suivre les parcours biographiques de ces individus. Il faut tout de mĂȘme ĂȘtre vigilant et rĂ©flĂ©chir Ă la terminologie et au rĂ©emploi dâun vocabulaire qui peut manquer de prĂ©cision concernant les langues que manient les secrĂ©taires interprĂštes, lâapprentissage quâils ont suivi ou encore les motivations de leur recrutement. Les mentions et apprĂ©ciations prĂ©sentent dans les dossiers de carriĂšre sont par exemple parfois Ă©mises par des supĂ©rieurs ne maĂźtrisant pas la ou les langue(s) concernĂ©es. Marie Aberdam souligne Ă©galement lâimportance de la documentation bilingue dans les administrations asiatiques. Cela permet de mesurer la qualitĂ© de la pratique linguistique mais une difficultĂ© demeure puisque ces documents sont trĂšs rarement signĂ©s. Concernant les relations entre statut et compĂ©tences linguistiques, les fonctionnaires interprĂštes sont trĂšs peu payĂ©s et la qualitĂ© de leurs traductions ne va pas toujours influencer lâĂ©volution de leurs carriĂšres. CompĂ©tences linguistiques et identitĂ©s personnelles se mĂȘlent parfois : ainsi, en 1910, lâadministration comprend quâun membre du personnel maĂźtrisant plusieurs dialectes est Chinois alors quâil a Ă©tĂ© embauchĂ© dĂšs 1894. Des enjeux dâidentitĂ©s juridiques transparaissent Ă©galement Ă travers lâexpĂ©rience des descendants mĂ©tis de lâinterprĂšte Alexandre Cazeau et de sa compagne cambodgienne.
Gabrielle Abbe, qui a soutenu sa thĂšse le 23 mars 2018, a choisi dâĂ©tudier une source spĂ©cifique : un questionnaire sur les arts au Cambodge Ă©laborĂ© par le peintre George Groslier en 1917. Cette source est divisĂ©e en deux dossiers : dâune part, le questionnaire et, dâautre part, les rĂ©ponses en Français, en Khmer, et leurs traductions. Il sâagit alors de sâinterroger sur le contexte de production de lâarchive, de lâutilisation qui en a Ă©tĂ© faite ou non. Le thĂšme du dĂ©clin est central dans lâargumentaire de Groslier, soulignant une perte de la tradition, des pratiques des techniques artistiques par les populations cambodgiennes. Il dresse un constat alarmiste et appelle les autoritĂ©s coloniales Ă sauver ces arts. Il sâappuie alors sur des statistiques quâil dit avoir collectĂ©es par lâintermĂ©diaire du questionnaire. Les rĂ©ponses lui ont Ă©tĂ© communiquĂ©es entre juillet et septembre 1917 par la rĂ©sidence supĂ©rieure, alors mĂȘme que son rapport avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© rendu. La langue vernaculaire est alors utilisĂ©e comme un gage dâauthenticitĂ©. Cependant, on constate que les informations transmises et utilisĂ©es dans le rapport de Groslier peuvent diffĂ©rer des rĂ©ponses donnĂ©es au questionnaire. De plus, les rĂ©ponses sont irrĂ©guliĂšres selon les provinces, selon lâimportance qui a Ă©tĂ© donnĂ©e au questionnaire par les autoritĂ©s locales. Certains administrateurs prennent la peine de traduire les rĂ©ponses et dâautres non. Il faut souligner un dĂ©calage entre Groslier et ses interlocuteurs : les catĂ©gories quâils mobilisent - art, artiste, artisan - leur sont parfois inconnues ou comprises diffĂ©remment. Il paraĂźt donc impossible dâĂ©tablir un constat clair aprĂšs cette enquĂȘte et le rapport de Groslier ne sâest donc pas appuyĂ© sur les donnĂ©es quâelle transmettait.
Enfin, Romain Lebailly propose une analyse des jeux vidĂ©o japonais et de leurs Ă©ventuelles traductions entre les annĂ©es 1980 et 2000. Il mobilise alors en tant quâhypothĂšse la notion dâimpĂ©rialisme culturel qui se dĂ©veloppe au cours de la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle et dĂ©fini comme une homogĂ©nĂ©isation empĂȘchant les autres cultures de se dĂ©ployer. Des annĂ©es 1980 au dĂ©but des annĂ©es 1990, les jeux vidĂ©o japonais sont peu traduits. Ils contiennent alors peu de texte et le mĂ©canisme ludique prime sur la narration. Les quelques mauvaises traductions soulignent quâil ne sâagit pas dâune prĂ©occupation rĂ©elle. La diffusion de JRPG en Occident au dĂ©but des annĂ©es 1990, dans lesquels la narration tient une place importante, ne semble pas rĂ©ellement modifier la donne puisque des nĂ©gligences de traduction apparaissent. La langue nâapparaĂźt pas alors comme le support dâun impĂ©rialisme culturel. Cependant, des changements sont visibles au cours de la dĂ©cennie suivante : avec Secret of Evermore sorti en 1995, la traduction et surtout, lâadaptation deviennent des enjeux majeurs. Parfois, les caractĂ©ristiques de la langue japonaise gĂȘnent le processus, les caractĂšres se rĂ©vĂ©lant techniquement intraduisibles. Lâanalyse des noms donnĂ©s aux PokĂ©mon rĂ©vĂšle quant Ă elle une resĂ©mentisation qui gomme certaines rĂ©fĂ©rences Ă la culture japonaise. Quelques exceptions permettent de sâinterroger sur lâĂ©mergence dâun Cool Japan : une reprĂ©sentation esthĂ©tisĂ©e de la culture japonaise, passant parfois par lâusage des caractĂšres, est utilisĂ©e dans certains jeux. Mais gĂ©nĂ©ralement, la langue japonaise est effacĂ©e des jeux vidĂ©o Ă travers un processus de traduction qui doit faire oublier au joueur quâil joue Ă un jeu japonais, Ă lâinverse des exemples du manga et de lâanimĂ©.
En parallĂšle des communications, des posters rĂ©alisĂ©s par des Ă©tudiants en master du CHAC (Cyril Chenais, Vincent Darnige, Mickael Langlois, Paul Mutti, Darius Riazi) sur la mĂȘme thĂ©matique.
La conclusion dâHugues Tertrais, professeur Ă©mĂ©rite et fondateur du CHAC en 2008, permet de synthĂ©tiser les diffĂ©rents enjeux mis en lumiĂšre au cours de la journĂ©e. La prĂ©dominance de lâempire francophone dans de nombreux travaux ne doit pas faire oublier les autres empires, quâils soient europĂ©ens ou asiatiques, Ă lâinstar de lâempire moghol et de lâemploi de la langue persane. Des rĂ©alitĂ©s variĂ©es et diffĂ©rentes transparaissent alors, notamment entre langues orales et Ă©crites. De plus, la diversitĂ© des situations coloniales et impĂ©riales doit rester Ă lâesprit. La question de la formation domine Ă©galement, quâelle passe ou non par le rĂŽle de religieux ou de missionnaires, tout comme celle du lien entre langue et administration. Il faut dĂšs lors Ă©tudier le rĂŽle et le poids des intermĂ©diaires. Dâun point de vue mĂ©thodologique, si les archives ont Ă©tĂ© apprĂ©hendĂ©es sous leur forme Ă©crite, la langue est associĂ©e Ă un patrimoine immatĂ©riel qui a conduit parfois Ă des enregistrements. Ensuite, il est nĂ©cessaire de dissocier langue et discours et de rĂ©flĂ©chir au sens des mots en mĂȘme temps quâaux Ă©changes et transferts linguistiques.
Affiches scientifiques/posters des étudiants en M1 au CHAC (2019)
Mickaël Langlois et Lucas Cresci Cyril Chenais Vincent Darnige Paul Mutti Darius Riazi -
2015
Colloque international : « Quâest-ce que lâAsie? »
26 novembre (EHESS, 190 avenue de France) et 27 novembre 2015 (Paris 1)
Le GIS Asie organise les rencontres : "What is Asia?/Qu'est-ce que l'Asie ?".
Ces journĂ©es internationales et interdisciplinaires ont pour but de rassembler les chercheurs sur lâAsie du Sud, lâAsie orientale et lâAsie du Sud-Est, pour reconsidĂ©rer la notion dâAsie et sa pertinence, en testant sa cohĂ©rence.
Lâobjectif est de promouvoir une approche globale de lâAsie, de renforcer la coopĂ©ration entre les diffĂ©rents pĂŽles dâĂ©tudes asiatiques, et ainsi de dĂ©velopper les Ă©changes entre les diffĂ©rents chercheurs et experts basĂ©s en Europe et ailleurs dans le monde.
Le 26 novembre 2015 toute la journée, au bùtiment Le France (Paris 13e), différentes communications seront présentées, en anglais.
Avec François Gipouloux, Emiko Ochiai, Christophe Z Guilmoto, Selcuk Esenbel, Aminah Mohammad Arif, Naoko Hosokawa, Astrid Nordin, Marc Lautier.
Le 27 novembre 2015 durant la matinĂ©e, Ă la Sorbonne (Paris 5e), se tiendront une confĂ©rence dâHugues Tertrais, puis un dĂ©bat, en français, modĂ©rĂ© par Pierre SingaravĂ©lou.
Le dĂ©bat a pour but de rassembler des jeunes chercheurs (doctorants et post-doctorants). Nous leur proposons de venir y participer activement pour y exprimer la vision de la question posĂ©e « Quâest-ce que lâAsie ? » quâils ont pu dĂ©velopper au cours de leurs recherches.
Ces journĂ©es sont coordonnĂ©es par SĂ©bastien Lechevalier (directeur du GIS Asie), Pierre SingaravĂ©lou (UniversitĂ© Paris I â CHAC) et Hugues Tertrais (UniversitĂ© Paris I â CHAC).
Inscription auprĂšs de : marine.sam@cnrs.fr
Vous trouverez ici le programme et les adresses précises des journées ci-joint et sur : http://www.reseau-asie.com/media3/conferences-debats/what-is-asia-/